JEAN GRISOT

Jean Grisot aime courir la campagne, arpenter les grèves de Bretagne ou les sols caillouteux du Midi sans guère se préoccuper du lointain horizon.
De ces pérégrinations au grand air, il rapporte des matériaux pré-traités, qui constituent la matière des tableaux, et aussi des éléments bruts qui donnent naissance aux pièces moulées.

A l’orée de son travail actuel il se contentait de dérouler au gré de ses déambulations, une bande de papier blanc, trainée vide et muette qui accompagnait ses pas en ébauchant un début d’organisation de l’espace sur un mode conceptuel et minimal. Puis il se mit à maquiller cette différence première en pratiquant sur la bande un report pictural des motifs repérés sur le sol voisin. Les bandes ainsi recouvertes devenaient et sont encore autant de prélèvements de sols explorés, sols marins, sols rocailleux, sols herbeux, sols somptueux de l’automne, jonchés de feuilles, pour lesquels semblent aller ses préférences, sans oublier les bandes en noir et blanc obtenues par un simple report d’ombres.

Mais il restait à organiser plastiquement ces longs parchemins colorés. Dans une première phase, JEAN GRISOT n’aimait pas les découper et les juxtaposait simplement ; « cela de rendait rien » avoue-t-il. Or il est nécessaire de s’arrêter et de passer par la réflexion pour faire rendre au réel dans l’œuvre achevée, ce qui est déclenché dans l’instant.
Les bandes ont alors été soumises à un travail de découpage, de montage et d’organisation spatiale dont témoigne le travail actuel.

Si chacune d’entre elles est constituée d’un prélèvement en rapport à un temps, un sol, une lumière située, le traitement dont elles sont l’objet les transforme dans des tableaux qui sont l’aboutissement d’une démarche en deux temps. Dans le premier, JEAN GRISOT peint des motifs prélevés sur l’environnement immédiat, de façon rapide, rétinienne, gestuelle, il se plie aux rythmes naturels qui surgissent, à peine déviés, le long d’un parcours linéaire. Il se laisse faire par le sol parcouru. La cohérence obtenue est celle de la peinture traditionnelle.
Dans un second temps, il se livre, à partir de motifs prélevés, à un travail de découpage, de montage, de collage. Le geste spontané fait place au geste ajusté que produit la pensée réflexive. La fragmentation de la bande casse les rythmes naturels, des matières et des lumières mais de nouveaux rythmes apparaissent, de nouvelles correspondances, de nouveaux contrastes grâce à cette traversée mentale qui débouche également sur une réalité plastique.

JEAN GRISOT répond à sa façon à la dispersion associative de la peinture contemporaine. Après avoir transcrit sur les bandes au rythmes des sensations éprouvées, les motifs offerts par les sols, il les reporte dans l’espace du tableau, il retravaille, délimite, construit dans le discontinu avec le « déjà fait » de l’acte pictural initial. « Je fais autre chose » dit-il, sans vouloir ni parvenir vraiment à en parler. Cette « autre chose » se situe dans l’écart où se joue l’acte créateur pris entre des nécessités contradictoires qui se résolvent un instant par un choix arbitraire. Alors le peintre tranche obscurément dans la continuité de l’espace et du temps pour trouver son propre équilibre d’ombres, de lumières et de vide.

JEAN GRISOT est parti de l’épiderme et des excroissances des sols pour arriver à ces tableaux et sculptures qui sont ce qui reste des motifs prélevés dans le bruissement de la vie. Mais c’est encore des sols qu’il s’agit une fois opérés les moulages, une fois les bandes découpées et repliées sur elles-mêmes. Les motifs sont déplacés et intégrés à l’unité des matériaux et de l’espace construit mais ils demeurent les mêmes dans leur principe.

Ainsi conçue l’œuvre de JEAN GRISOT se donne comme une tentative cohérente et réservées, à l’image de la réserve de la terre auprès de laquelle il puise son propos ; celui-ci concrétise les rêveries qui montent des sols traversés.
Sa réalisation s’inscrit dans la ligne des préoccupations des artistes contemporains qui désirent redonner une dimension picturale à leur recherches plastiques tout en ne cédant ni à la hâte ni au « tape à l’œil » de maint d’entre eux.

Jean Marie GIBBAL, Paris 18 avril 1983